viernes, 27 de febrero de 2015

MMA : quand les dirigeants du judo mondial tombent sur la tête / MMA cuando los dirigentes de judo pierden la razon.-




Le Point - Publié le  - Modifié le 

La Fédération de judo, sport de combat le plus pratiqué en France, s'acharne sur les Mixed Martial Arts, une discipline boycottée.

Photo d'illustration.
Photo d'illustration. © TAO-CHUAN YEH / AFP
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Respect, courage, honneur, amitié, sincérité, contrôle de soi, modestie. Telles sont les valeurs fondamentales inculquées aux judokas dès leur plus jeune âge et répertoriées dans le sacro-saint "Code moral du judo". Plus qu'un simple texte régissant le comportement à adopter sur et en dehors des tatamis, il s'agit véritablement de la colonne vertébrale de tout combattant, du plus jeune au plus aguerri. Pourtant, depuis plusieurs mois, les enfants de Jigoro Kano - inventeur du judo - assistent à la cristallisation d'un conflit larvé depuis plusieurs années entre les instances du judo et une discipline en pleine expansion : le Mixed Martial Arts (MMA). Faisant tout pour boycotter et maintenir dans la marge le MMA, les dirigeants du judo français et international bafouent ainsi, ouvertement et avec un dédain dégoulinant, les principes enseignés dans les dojos du monde entier.

La raison est très simple et tellement absurde qu'elle en devient anachronique : les têtes pensantes du judo voient en effet d'un très mauvais oeil l'essor du MMA, une discipline jeune et fédérant des dizaines de millions de fans à travers le monde. En fait, il s'agit ni plus ni moins d'une triste histoire de jalousie d'un sport qui jouit d'une hégémonie telle qu'il lui est insoutenable d'accepter l'émergence d'un concurrent aussi jeune soit-il. Comme si la ceinture noire s'acharnait mesquinement sur la ceinture bleue sous prétexte qu'elle commence à obtenir des résultats dans les compétitions régionales plutôt que de lui montrer l'exemple... Du coup, les petites phrases à l'emporte-pièce, les coups bas en tout genre, les décisions risibles deviennent légion et rappellent davantage les querelles politico-politiciennes étalées dans la sphère médiatique que les combats de judo, âpres mais teintés de respect.

"Le MMA est un refuge pour djihadistes !" (J.-L. Rougé)

"Le MMA est un refuge pour djihadistes ! C'est la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) qui me l'a dit !" La phrase, aussi loufoque que diffamatoire, n'est pas sortie d'un obscur blog anti-MMA. Au contraire, elle est l'oeuvre de Jean-Luc Rougé, président de la très puissante Fédération française de judo (FFJ), qui, dans un récent entretien accordé à l'Agence France-Presse (AFP), est revenu sur les raisons pour lesquelles il fallait maintenir l'interdiction qui frappe la pratique du MMA en Francecomme en Norvège et en Thaïlande, les derniers pays au monde qui le proscrivent.
À LIRE notre article : Suède, quand le MMA met la boxe K.-O.
"Pour moi, le MMA n'est pas un sport. Tout ça est né d'une invention pour faire du business. Il n'y a pas d'aspect éducatif avec ce genre de discipline", clame le premier champion du monde de l'histoire du judo français. Un amas de clichés ressassés à l'envi depuis plusieurs années, riche en contresens - comme celle de mélanger MMA et UFC (1) - et surtout faisant fi de toutes les avancées réglementaires de ces dix dernières années.
Car, si le MMA pâtit d'une image dramatique en France, il faut remonter à ses premières années d'existence, à l'époque où certains types de coups, spectaculaires et dangereux, étaient encore autorisés. Une ère révolue qui remonte à un temps où le MMA se cherchait encore. Un peu comme quand, jadis, il n'y avait ni limite de temps aux combats de judo ni catégorie de poids ? Quoi qu'il en soit, depuis les années 2000, le MMA s'est racheté une image et une conduite. D'ailleurs, si les valeurs véhiculées par ce sport étaient à tel point opposées à celles du judo, comment expliquer que Satoshi Ishii (champion olympique des poids lourds en 2008, année où Teddy Riner terminait 3e) et Ronda Rousey (vice-championne du monde 2007 et 3e aux JO 2008) aient quitté les tatamis de judo pour les cages du MMA ? Les plus fervents opposants au MMA avanceront comme principale raison l'appât du gain, présentant ainsi les judokas comme de dociles proies ouvrant les vestes de leurs judogis aux plus offrants.

Annulation des championnats d'Europe

Du coup, cette migration - marginale - d'athlètes est considérée comme une menace et justifie toutes les bassesses. Et ce sont les acteurs mêmes du judo - combattants et formateurs - qui en pâtissent ! En effet, l'Union européenne de judo (UEJ) a décidé pour marquer le coup d'annuler tout simplement les championnats d'Europe de judo qui devaient se dérouler à Glasgow en avril prochain, seulement deux mois avant la date initialement prévue du 9 au 12 avril. Une idée de génie qui ne remet pas du tout en question la préparation des judokas pour cette échéance et ne les prend pas du tout pour des girouettes, voire du bétail. Mais pourquoi donc l'UEJ a-t-elle décidé de tirer une telle balle dans le pied de ses champions ? 
Pour la simple et bonne raison que l'UFC, la principale organisation de MMA, était partenaire de ces championnats d'Europe. Il y a plusieurs semaines, la Fédération britannique de judo a effectivement conclu un partenariat avec l'UFC et, dans ce cadre, l'organisation devait également parrainer l'Euro de judo. Décision extravagante et inadmissible pour la FFJ et pour la Fédération internationale de judo, présidée par le surpuissant et richissime Marius Vizer.

MMA vs MJA : la guerre des sigles

Les avertissements des instances du judo quant à leur désapprobation se sont donc succédé, laissant entendre que leur riposte sera terrible et qu'elle mettrait un terme à cette bataille menée tambour battant et - il faut bien l'avouer - unilatéralement par le monde du judo. Du coup, l'UFC, qui argue que son intérêt n'est que de renouer le dialogue entre les deux disciplines, a proposé de se retirer des championnats d'Europe de judo tout en maintenant malgré tout son accord avec la Fédération britannique de judo. Insuffisant pour l'UEJ, qui a tranché dans le vif, à huit semaines d'un championnat continental. Dans la foulée, qui a soumis l'idée d'organiser l'Euro sur son sol ? La France, évidemment ! Quand l'odeur du sang se fait sentir, les charognards ne sont jamais loin. 
Cherchant visiblement à rester leader sur le marché de l'acharnement contre le MMA, Jean-Luc Rougé a surenchéri en menaçant de radiation de la FFJ tous les professeurs qui se mettraient à enseigner le MMA dans leurs clubs affiliés. Une mesure qui s'ajoute à son long discours prononcé lors du kagami biraki (cérémonie des voeux), intégralement dédié à la menace que représentent les "nouveaux sports de combat émergents" alors que cette cérémonie célèbre d'ordinaire les "maîtres Jedi" du judo (les plus hauts gradés) et permet également, dans la tradition japonaise, de resserrer les liens qui unissent la famille judo... 
Et que dire de la pathétique invention de la Fédération française, le Mixed Jujitsu Arts (MJA), une variante discount du MMA mais très bien vue par les instances puisque régie par la FFJ... Si le judo était une entreprise du CAC 40, difficile d'imaginer qu'il ne serait pas condamné pour "abus de position dominante". Et quand on sait que le principe même du judo est d'utiliser la force de son adversaire contre lui, il est impossible de considérer les actuels dirigeants comme les dignes héritiers tutélaires de l'art imaginé par Jigoro Kano.
(1) Le MMA est un sport à part entière qui rassemble plusieurs disciplines olympiques comme le judo, la lutte ou la boxe anglaise. L'UFC (Ultimate Fighting Championship) est pour sa part la plus grosse organisation de combat de MMA et rassemble les meilleurs combattants du globe. Confondre les deux reviendrait donc à assimiler la NBA au basket dans son ensemble.